Néo-advaita, saisie des phénomènes et cordes-pandas
Finalement il y a quand même un sens aux élucubrations néo-advaitistes, bien que ce ne soit pas le sens de l'advaita. Ce que disent ces gens (en fait il suffit de lire, ils disent tous exactement la même chose), c'est que quand il pleut les rues sont mouillées. Tout le reste est une construction. On peut penser que c'est bien, que c'est mal, que c'est un signe, que ça a telle ou telle signification, que ma vie va changer grâce à ça, que les anges veillent sur moi ou qu'au contraire des démons m'en veulent... c'est en plus. Ensuite il y a un côté pervers dans leur discours, qui déduit que les constructions sont inutiles et qu'il suffit de regarder la pluie, que celui qui voit autre chose que la pluie fait des rêves fumeux... ça c'est vraiment une perspective étriquée. Il y a des constructions utiles, même s'il est bon de se rappeler qu'il s'agit de constructions. Il n'y a pas à éliminer le rêve. Par exemple, l'autre jour je regardais des résidences à vendre sur la côté d'azur, pas pour me dire que j'y habiterais plus tard (le réflexe habituel), mais juste parce que j'aime bien ce genre de décor.
On peut de la sorte recycler tous ses rêves habituels, au lieu de les refouler sous prétexte qu'il s'agit de constructions. Par exemple, on peut bien rêver de l'homme ou de la femme idéale, mais pour maintenant, pas pour demain. Non pour se dire qu'on aimerait bien le/la rencontrer, mais pour profiter de la rencontre présente, puisqu'on l'a sous les yeux justement. On peut bien finalement rêver de tout ce qu'on veut, penser tout ce qu'on veut, pour en expérimenter l'effet. Pour cette raison, se dire que penser ceci ou cela est bon ou mauvais, c'est idiot. Penser ceci ou cela, c'est une expérience, ce qui la rend bonne ou mauvaise, c'est de ne pas observer ce qui se passe, de le faire de façon totalement inconsciente.
Par exemple, des gens viennent me faire la leçon en disant que juger autrui (comprenez : le donneur de leçons), ça n'est pas "bien" du tout du point de vue dharmique (traduction : ça énerve le donneur de leçons d'être jugé, mais comme il ne reconnaîtra jamais qu'il se soucie de l'opinion des autres, il va plutôt faire valoir que mon attitude m'est très préjudiciable). Mais qu'est-ce que juger, et qu'est-ce qu'autrui ? Ce sont des représentations. Celui qui dit que c'est mal, c'est celui qui a l'obscure sensation de se vriller le corps subtil en évoquant certaines représentation qu'il associées à l'expression "juger autrui". Soit. Mais c'est son problème, et je ne vois pas en quoi il me concerne. Pour ma part, ce qu'on a l'habitude de nommer "jugement négatif" crée un bon trajet énergétique, je ne vois donc aucune raison de m'en priver, pas plus que de tout ce qui améliore l'état des vents, gouttes et canaux. Comment penser qu'autrui est un idiot peut-il créer un bon effet ? De la même façon que beaucoup d'expériences jugées négatives par l'esprit ordinaire, comme la douleur physique ou morale. Vouloir supprimer les jugements négatifs, c'est une attitude liée à l'esprit des sutras, qui veut éviter ou supprimer tous les poisons. Quand le conseil vient d'un "pratiquant du dzogchen", c'est une contradiction dans les termes. Car le pratiquant du dzogchen, comme chacun sait, est comme le paon, il fait son nid dans les épines. Il n'y a rien à enlever ni à ajouter, il constate simplement ce qui se produit, afin d'en permettre l'auto-libération. En quelque sorte, il vit pleinement ses expériences.
Pour en revenir au néo-advaita, ce qu'il appellent "éveil" n'a en somme rien à voir avec ce que le Bouddha a appelé l'Eveil. En revanche cela a tout à voir avec la santé d'esprit nécessaire à la pratique du dharma, c'est-à-dire que c'est plutôt le début du chemin, l'endroit à partir duquel on cesse de se faire enfumer par les promesses des uns et des autres, les rêves qu'ils essaient de créer dans notre esprit, certains en le sachant très bien, d'autres en l'ignorant tout à fait.
Maintenant, comment nettoyer cette première couche d'illusion tout à fait triviale ? Je n'en ai malheureusement pas la moindre idée, et apparemment même les maîtres ne savent pas, car elle prolifère en leur présence. Comme je le disais plus haut, le souci n'est pas que les disciples développent tout un tas d'idées fumeuses, c'est qu'ils croient que ces idées sont la juste représentation d'une réalité objective. Par exemple, ils croient que leur école est la meilleure. Il y a là un aspect négatif et un aspect positif. L'aspect positif, c'est qu'ils se sentent encouragés, ce qui a un bon effet énergétique. L'aspect négatif, c'est qu'à l'orée de leur corps subtil, ils créent une sorte de mur envers ce qui n'est pas leur école, et une certaine rigidité.
Pourquoi ne pas prendre l'aspect positif en lâchant l'apsect négatif ? On va me dire que c'est impossible, puisque pour que ça marche il faut y croire. L'expérience prouve que c'est faux. Il n'est pas nécessaire de penser que les autres religions sont inférieures pour avoir le bénéfice de la pensée que la sienne est supérieure. Comment ? Si l'on a suffisamment pensé que la sienne est supérieure, on n'aura pas manqué d'identifier l'état énergétique positif qui en découle. Il suffit de se connecter sur cet état, on peut même se connecter sur la pensée, mais en abandonnant sa solidité. Comme un jeu. "Jouons à ce que mon école soit supérieure". De la sorte on a les bénéfices sans les inconvénients. Si on est chrétien, on peut imaginer un univers qui serait le royaume du Christ, entièrement sous son règne etc (cela a d'ailleurs un nom, ça s'appelle le Paradis, ou terre pure de Jésus), ce n'est pas pour autant qu'on doit s'imaginer qu'il faudrait contraindre l'univers physique à devenir semblable. L'univers physique n'a pas besoin de changer pour que l'on puisse vivre dans la terre pure de Jésus ou de qui que ce soit d'autre. On peut jouer à être de la religion qu'on veut. Cela ne veut pas dire qu'on l'est moins que ceux qui y sont. Cela veut dire qu'on n'a pas la même saisie des phénomènes, et qu'on en aura sans doute beaucoup moins d'inconvénients à l'arrivée.
Lorsqu'un maître bouddhistes nous parle de la non-saisie des phénomènes, il ne nous dit pas d'arrêter d'imaginer que la corde est un serpent, il nous dit d'arrêter de croire que cette imagination a une réalité en soi, qu'elle représente une vérité éternelle non-changeante - quoique là encore l'affaire est complexe, car le cliché du serpent est bien un Essence de l'Intellect divin, mais elle est impermanente, et quoi qu'il en soit nous ne sommes pas mariés avec, nous pouvons aussi imaginer que la corde est un panda.