S'intéresser aux autres
Hier j'ai lu une assertion d'Ibn Arabi qui me semble fausse en principe, mais vraie dans l'usage. Il différencie Dieu, qui totalise l'ensemble des Noms divins, et qui est un ensemble dynamique en expansion, du Seigneur, qui est l'ensemble "un Nom divin + la personne qui le manifeste", et qui est statique, puisque limité aux possibilités contenues dans le Nom en question.
On constate en effet que les gens sont statiques. Où que je me tourne, je ne vois que des gens qui ne s'intéressent qu'à eux-mêmes. Même chez les saints, c'est la plupart. Ils ont leur propre rapport avec Dieu, le reste ils s'en foutent royalement. Mais du coup, lorsqu'ils disent qu'ils voient des anges, on se demande en réalité ce qu'ils peuvent en voir, puisqu'ils ne les voient qu'en tant que les anges en question s'intéressent à eux, ou à ce qu'eux-mêmes trouvent intéressant. C'est particulièrement vrai dans le chistianisme. Dans l'islam, ils sont un peu plus ouverts, en raison sans doute de la multiplicité des Noms divins qui est affirmée à la base (alors que dans le christianisme, c'est surtout l'attribut de Miséricorde qui est considéré, les autres on s'en fiche pas mal), du coup certains saints (les plus grands semble-t-il) aiment bien établir des hiérarchies entre eux, et regarder où se situe qui dans leur vision. Evidemment ils sont loin d'être d'accord entre eux, mais quoi qu'il en soit ils sont intéressés par les rapports existant entre d'autres personnes, ils parlent des rapports entre maître et disciple d'une façon qui fait qu'on peut voir qu'ils s'intéressent aux autres. Ils sont plus "sociaux" en quelque sorte, alors que beaucoup de chrétiens sont de vrais sauvages, je n'ai d'ailleurs vu aucune réflexions sur les paradoxes mystiques et l'équivocité chez les chrétiens, chez qui tout est toujours simples.
Mais revenons-on à nos contemporains, dont l'ouverture est nulle et dont l'attitude fait pitié. Il y a une décision à la base de ne vraiment s'intéresser qu'à soi, il en résulte une pauvreté vertigineuse, y compris chez les pratiquants. ce qui ne fait donc pas mentir Ibn Arabi. Cependant je peux voir dans ma propre expérience que s'intéresser aux autres est une voie d'expansion très rapide dans l'univers des attributs divins, car si on est capable d'écouter Madame Michu qui parle de son chat, on est semblablement capable de lire n'importe quel saint et d'entrer en quelque sorte dans ce qu'il est. Ce qui finit par prendre une dimension assez étonnante. Autrefois quand je lisais un saint, il y avait des "transmissions". Maintenant, il y a à chaque fois tout un pan d'imaginal qui se crée, et comme une partie de vie qui se joue là, et qui se retrouve dans mon roman. Il faut que Ryndil rencontre une émanation du saint en question et qu'il se noue quelque chose entre eux, le quelque chose en question étant de plus en plus notabme, en quantité et en qualité. Pour ma part c'est comme si je rentrais en relation personnelle avec le saint en question pendant quelques jours. A chaque fois il y a l'impression d'une totalité, de quelque chose de complet par soi-même, et il n'y a pas le désir spontané d'autre chose. Par exemple, après sainte Justine, Ryndil s'était promis de rester tranquille. Mais voilà qu'il vient d'en croiser une autre, complètement différente, et c'est un nouvel univers qui se crée. Du coup, même s'il a un maître terrestre, il n'en a pas vraiment, car il passe sa vie à aller en voir d'autres, non parce qu'il est insatisfait de ce qu'il a, mais parce qu'il tombe amoureux quand il les voit.
On peut se demander à quoi ça sert. Ce serait la même chose que de se demander pourquoi Dieu ne s'est pas contenté de se manifester sous une seule forme. Et s'il ne s'est pas contenté de se manifester sous une seule forme, on se demande en vertu de quoi on devrait se contenter de le voir sous une seule forme.
On pourrait en conclure que les Noms qui ont une tendance à l'expansion sont très rares, mais ce n'est pas non plus mon expérience, puisque j'ai transmis cette caractéristique à d'autres personnes, qui au départ ne l'avaient pas. Chacun est un reflet de l'Homme Universel, Adam, mais je ne vois pas en quoi cela devrait se limiter à un seul Nom, car c'est apparemment une question d'éducation, plus que de prédisposition essentielle.