Stage de chamanisme (1)
Ces quatre derniers jours, nous sommes allés à un stage de chamanisme, nous imaginant naïvement qu'il y aurait quelques bonnes choses à en tirer, car le site de l'animateur n'est pas bête (un universitaire respecté, psychologue de formation, qui a parcouru le monde entier pour rencontrer de vrais chamanes et suivre leur enseignement). Malheureusement j'ai pu constater que le résultat était le même que partout ailleurs : la vraie spiritualité est confondue avec les facultés de l'imagination fantaisiste, c'est-à-dire que tout être humain est considéré comme ayant en lui tous les outils lui permettant d'accéder au monde des chamanes. Qu'il suffit de faire un rêve éveillé pour y être. C'est valable aussi pour les paradis, qui sont considérés comme étant le "monde d'en haut" de l'univers chamanique. En sorte que si quelqu'un a la vision d'un bouddha ou de Jésus, c'est considéré comme une vision mystique, sans aucune considération pour la qualité de la vision.
Je ne pense pas que le monde chamanique relève de l'imaginal, mais il relève cependant d'une faculté supérieure à l'imagination ordinaire, qui fait évidemment défaut aux occidentaux. Afin de vérifier la validité de mon hypothèse comme quoi il n'y avait aucun esprit du feu dans leur feu sacré, j'ai laissé Kiwi le profaner (il est très doué pour ce genre de choses), et bien entendu personne ne s'en est aperçu. S'il avait fait ça chez un vrai chamane, je pense qu'il aurait passé un très mauvais quart d'heure. De même, il a fait couler un bateau esprit en rompant volontairement la chaîne, et comme on s'en doute, ça n'a rien changé. Le travail de M* consiste très clairement à débrider le vital et l'imagination fausse (les personnes ordinaires n'en ont pas d'autre), ce qui a pour résultat de créer un groupe de gens qui délirent gentiment ensemble en s'imaginant qu'ils sont très spirituels et qu'ils vont sauver la planète. Pour eux, leur vie change parce qu'ils sont sur une voie juste. Mais en réalité, elle change parce qu'ils partagent des activités avec d'autres gens qui ont les mêmes délires qu'eux et parce qu'ils sont convaincus d'être sauvés. Autrement dit, le changement est superficiel, au fond c'est toujours la même misère, car ils sont toujours sous l'emprise des mêmes conceptions et perceptions erronées. Le karma a simplement changé de visage. Quand on les voit jouer aux chamanes, on dirait des gamins de 6 ans, avec un ego gigantesque en plus, car contrairement aux gamins, ils se prennent extrêmement au sérieux. Comme le dirait Janov, ils cultivent les émotions parce qu'ils n'ont pas de sentiments, en fait ils viennent ici pour s'aider les uns les autres à générer des émotions fortes, avec des soi-disant transes chamaniques. Mais de la sorte, ils ne font que tomber dans des états infra-humains. Croyant faire venir à eux l'esprit des loups et des aigles, ils coassent, beuglent et hurlent dans tous les sens, et aucun esprit ne vient, car de toutes façons ils n'ont pas de pouvoir, n'ayant aucune faculté imaginative véridique. Dans le meilleur des cas, ils font des primaux, mais ensuite ? Pourn eux, la preuve que leur méthode fonctionne, c'est que ça "marche". Mais ça marche à quoi ? A générer chez les autres des types d'imaginations similaires, et à se valider réciproquement. Par exemple, une personne dit qu'elle en guérit une autre en posant ses mains sur elle. L'autre se met à pleurer et dit qu'elle a eu une expérience extraordinaire. Une troisième dit qu'elle était connectée et que c'était très puissant. Etc... Il se passe effectivement quelque chose : des vents karmiques sont agités en tous sens. Il suffit de voir comment une personne ordinaire va se sentir importante quand on va prétendre lui faire une cérémonie de guérison pour savoir d'où lui viennent ses "expériences". C'est la même chose quand un gars est amoureux d'une fille, et qu'il va lui parler, il est brusquement envahi d'une émotion incontrôlable. Il ne s'imagine pas avoir une puissante expérience chamanique, puisque ce n'est pas le propos. Mais si l'on transpose le mécanisme, ce sont les mêmes vents karmiques qui sont mis en jeu dans les pseudo groupes chamaniques. C'est ce mécanisme-là, qui est le poison de la spiritualité, car il est fondé sur l'auto-contemplation et le sentiment de sa propre importance.
C'est ça qu'il faut enlever si on veut devenir authentiquement spirituel, et ça n'est pas facile. Pour moi, les choses ont changé le jour où j'ai réalisé que personne ne pouvait me valider. A savoir que si un bouddha venait et me disait "tu es un grand boddhisattva" ou "tu es la pire des créatures", ça ne changerait strictement rien. Je suis ce que je suis, et ce ne sont pas des mots qui ont le pouvoir de le changer. En cessant d'écouter les mots et en regardant ce qui est, on cesse de générer les émotions fausses qui empêchent la vraie sensibilité d'émerger. C'est en ce sens qu'on peut dire que quelqu'un qui a une réalisation ne se dit pas qu'il a une réalisation. En réalité, il peut bien se le dire, mais ça ne lui provoque pas d'émotion, autrement dit il ne se sert pas de cette pensée pour se sentir exister.
Quand on réalise le poison que sont les émotions fausses, on les abandonne, et on peut commencer à avoir de réelles expériences. C'est-à-dire que les expériences n'étant pas faussées par l'auto-contemplation, elles peuvent évoluer en qualité. On devient capable de percevoir ce qu'est la qualité d'une expérience, c'est-à-dire qu'on perçoit le substrat d'où elle s'élève a lieu de s'attacher au contenu. On progresse dans la connaissance des attributs divins. Par exemple, si l'on voit un bel être, on ne regarde pas l'être mais la Beauté. A-t-on progressé dans la perception de la Beauté ? De fait, on peut voir l'être le plus beau du monde, si on n'a pas de perception de la beauté, on ne verra rien du tout. De même, Petit Elfe est pour moi une manifestation de la Douceur. Mais apparemment, il n'y a que moi qui le vois. Je me souviens aussi de l'époque où je pouvais voir en C* Rinpoche une manifestation de la Beauté et de la Majesté. Je pouvais dire en regardant les gens qu'ils ne le voyaient pas ainsi. La moitié de la sangha l'écoutait poliment, tandis que l'autre moitié l'écoutait hypnotisée, mais hypnotisée par ses propres croyances, dont la plus évidente était "Rinpoche est un grand boddhisattva, il va me sauver du samsara". Dans la vision de la Beauté, il n'y a rien de tel, car il n'y a plus de "je", donc personne à sauver.
Quand on se concentre sur la vision des attributs divins, et non plus sur les objets, on réalise que le chemin est infini, et que Dieu est inatteignable. Mais que dans cet inatteignable, il y a des degrés, ou des stations. Si je lis qu'Ibn Arabi a eu une vision de la Beauté tel jour, je sais qu'elle est infiniment plus avancée dans la proximité que tout ce que je peux expérimenter, et que c'est toute la différence entre nous. La forme extérieure peut être la même, mais ça n'a rien à voir.