Reconnaître et développer l'état naturel
Pour continuer sur ma note précédente, je me rends compte que si j'avais suivi consciencieusement ce que j'ai cru comprendre du Lopön, j'aurtais fait exactement le contraire de ce qu'il fallait. A l'inverse, c'est en jetant tout ce que j'ai cru comprendre et en suivant ce que je voulais faire (ici il y a donc eu opposition complète entre entendement et volonté) que bizarrement j'aboutis maintenant à quelque chose d'inattendu qui correspond également aux textes, tout en étant l'inverse des choses précédentes. De même, si je lis un texte aujourd'hui, je ne peux le "tester" que contre des cognitions valides, si j'ai le malheur de m'en faire une image mentale, je sens la tendance à repartir dans la mauvaise direction. Il en découle qu'il est impossible d'utiliser les textes pour savoir ce qu'on doit faire. On ne peut les utiliser que pour tester ce qu'on a déjà fait. Autrement dit, ils sont impuissants à nous montrer le chemin. C'est une constatation puissante, parce qu'elle signifie qu'on doit tout trouver tout seul, de l'intérieur, et que si ça ne marche pas, on ne trouvera dans les textes que motifs d'égarement, pour autant qu'on cherche à les comprendre avec l'entendement. Parolant du dzgchen, c'est assez logique, puisqu'il est censé se situer totalement au-delà de l'entendement. Cela dit, on peut s'en servir pour développer ses cognitions valides, mais cela passe par des voies qui sont propres aux cognitions valides, et qui sont tout à fait imprévisibles. C'est toujours une question de ressenti, jamais une question de pensée, sauf si la pensée est elle-même intégrée à l'état naturel.
Progresser sur le chemin demande finalement une rééducation complète, au lieu de centrer sa compréhension sur l'entendement, il faut la centrer sur une forme de ressenti qui ne doit pas être de la "sensation". Il faut trouver au coeur de toute expérience ce qui n'appartient ni à la pensée ni à la sensation. Et ce n'est pas le "rien" dont nous bassinent les néo-advaitistes, le néant que chacun perçoit très bien à l'intérieur de lui-même. C'est exactement son contraire, qu'il est d'ailleurs très difficile de percevoir, car ainsi que nous le rappelle un Rinpoche dont j'ai oublié le nom, nous l'avons en trop petite quantité à la base, et il faut commencer par l'augmenter avec certaines pratiques que quasiment personne ne fait.
Cela dit, une fois qu'on le tient bien, une fois qu'on a reconnu en quelque sorte l'état naturel, il est facile de le développer, pour autant qu'on ne retombe par dans les vieilles habitudes par manque de shradda (ce qu'on fait quand même la plupart du temps au début, puisqu'à la base tout a été compris à l'envers et qu'il faut du temps pour défaire les traces de cette inversion). Tel Pénélope, on défait souvent son tapis, mais mieux vaut cela que de ne pas savoir tisser.
Quand on voit que la vieille chamane dont j'ai oublié le nom, après une vie entière de service aux autres, n'a pas été jugée digne de recevoir les enseignements du dzogchen (en tous cas on a très nettement cette impression, mais peut-être qu'elle les a reçus en secret), on se dit qu'ici en Occident on est loin du compte.
En fait le problème n'est pas de reconnaître l'état naturel une fois par-ci par là, car c'est tout à fait insuffisant. Il faut le reconnaître comme base des sensations et des pensées, de même qu'on verrait le soleil en filigrane à travers les nuages.
C'est pour cette raison que les méditants se battent sans fin avec leurs pensées, et que les gens se battent sans fin avec leur émotions. Paradoxalement, c'est parce que l'état naturel en est la source qu'ils sont attirés et ne peuvent s'en dépatouiller. Pour se dépatouiller il faut reconnaître la base, sinon c'est comme si on cherche à séparer le mouillé de l'eau ou le chaud du feu.