Dzogchen et pensées
En relisant des enseignements du Lopön, je réalise que s'ils sont certainement excellents pour les pratiquants supérieurs auxquels ils s'adressent et dont je ne fais pas partie, ils ont tout pour égarer les pratiquants ordinaires dont je fais partie. En effet, quand je lis ce qu'il dit, je sens mon esprit qui essaie de s'égarer subtilement dans des voies dont il a amplement expérimenté qu'elles ne menaient à rien. Le mécanisme en est très simple. Quelle que soit l'instruction qu'on reçoit, on s'en forme une représentation plus ou moins mentale d'un côté tandis que d'un autre côté cela réactive plus ou moins un ensemble de cognitions valides. L'un est inversement proportionnel à l'autre. La pratiquant du dzogchen qualifié aura instantanément une série de cognitions valides qui vont guider sa pratique en entendant les instructions. L'individu ordinaire aura une représentation mentale n'ayant strictement rien à voir avec la moindre cognition valide. Entre les deux, on peut avoir une cognition valide moyennement efficace assortie d'une représentation mentale fausse mais moyennement forte, instantanément reconnue comme étant une ancienne trace karmique partiellement réactivée de représentation complètement erronée. Quand on a les deux, on peut commencer à voir qui a quelle sorte d'effet de ces enseignements, ceux qui ont des cognitions valides, et ceux qui ont des représentations mentales, car on peut sentir en soi l'effet des deux, qui est diamétralement opposé.
A ce titre, je peux dire maintenant ce qu'est une pensée intégrée dans l'état naturel, celle qu'il ne faut ni tirer ni pousser, et "leave it as it is". C'est exactement le contraire de ce qu'un pratiquant ordinaire va désigner par "pensée vide". Que les pratiquants ordinaires m'arrêtent si je me trompe, une pensée intégrée dans l'état naturel est pour eux une pensée qui n'a pas d'effet, qui est perçue un assemblage de mots, un peu comme quand on est très fatigué, on nous annonce quelque chose qui devrait nous perturber, mais on s'en fiche complètement, ça passe dans l'esprit comme un nuage dans le ciel, ou comme un pigeon si on préfère, sans laisser de traces, n'est-ce pas. Enfin c'est ce qu'on s'imagine, et on croit constater que c'est exactement ce dont parlent les textes. Sauf que ces pensées sont elles-mêmes des traces karmiques qui s'auto-alimentent, et elles laissent des traces, pour celui qui sait regarder, la trace d'un circuit neuronal qui se répète encore et encore, et qui va se répéter dans nos rêves, et dans les bardos. On le considère comme rien, mais c'est quelque chose de puissant, ce sont des pensées influencées par le poison de l'indifférence, qui est le plus difficile à détecter.
Une chose qui s'intègre dans l'état naturel acquiert les qualités de l'état naturel. Sinon on ne voit pas en quoi il y aurait la moindre intégration. Quelque chose qui est intégré au feu devient chaud, par exemple. Donc une pensée vide de substance est totalement non-intégrée à l'état naturel, puisque ce dernier est la substance par excellence.
Je vous laisse réfléchir aux conséquences.
Assez étrangement, quand on a des pensées intégrées à l'état naturel, on constate qu'on peut leur appliquer tout ce qui est dit dans les textes, bien qu'elles soient exactement le contraire de ce qu'on croyait au début qu'elles auraient dû être. C'est dire que les textes peuvent être interprétés complètement à l'envers, sans aucun souci. Mais évidemment, ce qui est dit n'a plus du tout le même sens. Il est donc très facile en discutant avec quelqu'un de connaître son expérience. Dans un cas, il dira que la pensée est sans importance et qu'il ne s'en occupe pas, qu'elle peut donc cesser un peu n'importe quand comme n'importe quelle chose qui n'a pas d'existence, dans l'autre cas, il dira... que dira-t-il ?