Histoires d'asûras
Avec tout ça je n'ai pas complété mon post précédent, car je souhaitais expliquer la façon dont l'esprit du mensonge avait fini par me laisser tranquille. Ce qui, je pense, pourrait intéresser quelques personnes.
Après avoir lu Mère, j'avais fini par conclure que j'étais l'émanation d'un asura, comme Théon ou Richard, ce qui contrairement à mes prévisions était une pensée très désagréable. Contrairement à mes prévisions, parce qu'en un sens on peut se dire qu'être une telle chose doit rendre une personne intéressante, et que donc il peut y avoir une certaine motivation du vital à s'imaginer tel. Mais à l'usage, mon vital n'était pas motivé, en plus je me disais que si j'avais connu Mère on n'aurait pas pu être amis à cause de ça, et que finalement ça ne valait rien de bon. Il n'empêche qu'il y avait quand même beaucoup de signes permettant de le déduire. Au bout d'une semaine de méditation sur le sujet, j'en avais pris mon parti, à savoir que d'un côté je n'allais pas m'apesantir là-dessus, et que d'un autre côté, puisque c'était comme ça, j'allais m'employer non seulement à me convertir, mais à
convertir la personnalité centrale de l'asura en question. Tout en gardant à l'idée que peut-être c'était un délire, soit que Mère avait raconté n'importe quoi, soit que moi-même je me faisais des idées et que je n'étais qu'une idiote de plus avec des idées de grandeur, quoique cette grandeur-là fût déplaisante dans ses effets.
Bref, trois semaines plus tard, j'identifie ce que Mère appelle la vibration du mensonge, qui n'est autre qu'un certain état d'esprit qui refuse. Sans cause et sans objet. Et j'explore l'hypothèse que la racine du samsara n'est pas une ignorance comme le prétendent les bouddhistes, mais une mauvaise volonté, la même qui a transformé les 4 premières émanations divines en asuras. C'était contraire à tout ce que je pensais, mais bon, ça semblait marcher assez bien comme ça. Et de fil en aiguille, je me suis dit que je n'avais pas besoin de garder cette vibration qui n'a rien d'intéressant. Ou bien disons qu'elle n'est perçue comme intéressante que parce qu'elle donne une certaine intensité à l'existence en l'absence du divin. A ceci près que c'est elle qui voile le divin, c'est donc un marché de dupes. Autant la laisser tomber et revenir au divin.
Et c'est environ 3 semaines après ça que je m'aperçois que mon "asura" a disparu. Introuvable,
volatilisé. Quant au lien avec la personnalité centrale, qui me semblait présent par le passé, fini. En fait je ne comprenais même plus la "mentalité" de l'asura en question, alors que quelques semaines plus tôt, elle me semblait extrêmement claire. Il ne m'était plus possible de concevoir un tel être. Quand je parle de concevoir, il ne s'agit pas de mental, il s'agit de sentir la chose au niveau énergétique. Au même moment, je m'aperçois qu'Anton, le personnage de mon roman, a complètement changé. Que le chapitre où il se retrouve SDF ne tient plus debout. Dans ce chapitre, il n'était pas content de dormir dehors et de manger dans une poubelle, et de devoir chercher du travail. Mais maintenant je ne vois plus de raison à ce mécontentement, sauf à faire exprès d'être mécontent. Mais il n'est pas fou, il ne va pas le faire exprès. Dans le même temps, je me rends compte que le Bois de Vincennes en pleine nuit m'est devenu assez amical, bien qu'on puisse intellectuellement être certain que des psychopathes y rôdent à l'affût des promeneurs imprudents. Et toutes les entités pas fameuses que je sentais dans les arbres, disparues. Plus globalement c'est l'idée que puisque Dieu est partout, il faudrait être maso pour le refuser.
Incidemment, je peux dire que Théon n'était pas réllement converti. Il était converti à la périphérie mais je suis convaincue qu'il n'avait pas touché la cause première, la mauvaise volonté fondamentale. Le mantra de la Vie n'aurait même pas dû l'intéresser s'il avait vraiment éliminé cet esprit du mensonge. Par ailleurs l'idée d'abandon au Divin, dont Mère dit qu'elle lui était totalement étrangère, n'aurait pas pu lui rester étrangère. Car c'est la première idée qui vient, une fois qu'on a cessé de croire qu'on pouvait faire quelque chose par nous-mêmes. Et en plus, c'est bien plus facile que n'importe quelle sadhana. La seule raison qui empêche de le faire, c'est l'identification à l'esprit du mensonge. C'est vraiment un point central. Avec cet esprit, on peut identifier l'amour divin, l'ananda, se le souhaiter, souhaiter quelque bien aux autres, mais fondamentalement on croit toujours avoir des qualités propres, et donc on continue sur ce chemin de la sadhana. Sans cet esprit, on voit que toutes ces prétentions sont vaines et dénuées de sens.