Les chaussures révèlent le caractère
L'autre jour, j'ai pu passer quelques heures à côté d'un "bon" pratiquant (Thinlay Tulkou en fait) déguisé en citoyen lambda (c'est-à-dire pas sur un trône avec un chapeau multicolore, mais avec un pantalon, un manteau, une chemise et des chaussures comme tout le monde), ce qui m'a permis, par comparaison, de réaliser combien certains enseignants se prenaient un peu trop au sérieux. Ayant récemment découvert l'examen-de-la-chaussure (et du pied), forcément je l'ai pratiqué sur lui, et là, ô stupeur, je n'ai rien vu du tout. Rien. C'est là que j'ai réalisé que la perfection (ou quelque chose qui s'en rapproche) est forcément invisible. Pas invisible comme le gars qui rase les murs, et qui est très visible en réalité. Invisible comme quelque chose qui n'est pas là. Et quand on y réfléchit, c'est bien cela. La réalisation, c'est l'absence de voiles karmiques, remplacé par quelque chose que l'on ne peut pas "voir" avec les sens grossiers. Donc celui qui est réalisé est, du point de vue de l'homme ordinaire, inexistant. Invisible. La seule chose que l'on peut voir, identifier, c'est les défauts.
Grâce aux chaussures de ce pratiquant, j'ai pu comprendre que peu de chaussures n'affirmaient rien. Par exemple, nos chaussures à nous, vers de terres et oursins, affirment nos raideurs et notre mauvaise posture. Mais les chaussures des profs de chi-qong affirment leur bonne posture et donc leur prétention à montrer comme ils sont supérieurs à tout le monde -pas tous, j'imagine, mais un certain nombre -. Chez Kar-fung, par exemple, on ne peut pas manquer de noter comme elle a le pied bien accroché par terre :"regardez comme je suis bien ancrée, mon corps énergétique va jusqu'à 10 mètres sous terre, vous voyez ? Et si vous travaillez bien, un jour vous serez comme moi". Non merci. D'autres personnes, par la raideur de leur nuque, ou la "présence" de leurs gestes, nous montrent comme ils sont de bons méditants. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas manquer de les remarquer. La personne dont je vous parle, vous pouvez le croiser n'importe où, vous ne le verrez pas. Quand il va ouvrir la bouche, si vous avez de la chance, vous pourrez noter qu'il n'y a ni affirmation, ni négation - ni "regardez comme je sais plein de choses", ni "regardez comme je ne sais rien du tout". Ce qui est tout à fait surprenant quand on y réfléchit. Car lorsqu'on parle, c'est soit pour s'affirmer soit pour se nier (une autre façon de s'affirmer). Etre simplement normal, cela n'existe pas (à tous les sens du terme).
Bref, je peux vous dire que mon esprit habituellement apte à trouver les plus petits défauts des gens n'a absolument rien trouvé ce jour-là, et ce n'est pas parce que savais "qui" c'était. On peut me présenter le plus grand soi-disant maître du monde, dans la mesure où j'ai l'esprit de contradiction, je vais justement essayer de lui trouver des défauts, et il y a quelques gourous autoproclamés qui, rétrospectivement, ont pris un coup dans l'aile depuis l'autre jour.
Maintenant, il y a probablement d'autres gens encore plus élevés dans la hiérarchie de l'inexistence, bien que je ne sois pas capable de faire la différence à mon niveau, mais quoi qu'il en soit, c'était fort instructif. Pour moi, il est maintenant clair que la pratiquant qu'on remarque n'est pas le bon...