Le jeu du dragon
Je m'aperçois d'un truc rigolo. Ceux qui savent des choses sont des chieurs, et il faut prendre son air tout gentil pour en tirer quelque chose. Je le sais, parce que j'ai joué les deux rôles. Autrefois, du temps de ma jeunesse (ah là là), je trouvais que les gens qui avaient le plus de choses à m'apprendre étaient de vieux chieurs caractériels, mais je voulais bien montrer patte blanche voire ramper par terre pour bénéficier de leur savoir. Et je voyais d'autres "jeunes" autour de moi, qui ne voulaient pas faire la même chose, et qui donc ne pouvaient bénéficier de la manne divine parce qu'ils étaient foutus à la porte avant. J'attribuais ce côté chieur à une faille dans le caractère de mes professeurs de circonstance. Je me disais que c'était bien dommage mais pas si grave.
Mais voilà que maintenant que je sais quelques petites choses, je me mets à faire pareil... Ce n'est pas pour le plaisir de faire chier le monde. C'est quelque chose qui se met automatiquement en place afin de filtrer ceux qui peuvent bénéficier du "savoir", et ceux qui ne le doivent pas. J'observe donc avec le plus grand amusement le comportement des petits scarabées, ainsi que leur choix. J'admire beaucoup ceux qui se prennent héroïquement des cailloux sur la tronche et sont capables malgré cela de rester tout gentils pour amadouer le dragon que je suis. Je n'en conclus nullement qu'ils sont inférieurs parce qu'ils courbent la tête. J'en conclus surtout qu'ils sont intelligents, parce qu'ils ont compris, tel Indiana Jones, que si on ne passe pas la porte à genoux, on se fait couper la tête. Je le sais pour l'avoir beaucoup fait moi-même. On ne peut recevoir qu'en se mettant plus bas que celui de qui on veut recevoir. ça ne veut pas dire que celui qui se met plus haut se croit plus haut, ni que celui qui se met plus bas se prend pour un ver de terre. C'est apparemment une règle. Quand je veux recevoir quelque chose, je me mets à genoux, et quand je vois arriver quelqu'un qui veut quelque chose, je fais le dragon. C'est normal. Si la personne vient avec son arrogance, ce n'est pas pour demander, c'est pour voler, et bien mal acquis ne profite jamais. Je me vois cracher le feu à une certaine hauteur :"Allez vas-y, passe dessous. Si tu passes, t'auras ce que tu veux. Si tu passes pas, tant pis pour toi". Et j'en vois qui passent en sachant très bien ce qu'ils font. Des petits malins ! Mais comme c'est la règle de donner à celui qui passe dessous, ils obtiennent ce qu'ils veulent. Ce n'est qu'une question de convenances, rien de plus. Le jeu n'est pas de cramer tous les candidats, uniquement ceux qui ont le cou trop raide. En réalité, la chose ne peut fonctionner qu'entre égaux qui se reconnaissent, et celui qui a le cou raide se croit supérieur, c'est un fait. Cela ne peut donc pas fonctionner avec lui. Inversement, quelqu'un qui courbe la tête ne nous signifie pas que nous sommes supérieurs, mais simplement qu'une relation d'égalité sera possible avec lui. Au moins à un certain niveau.
Mettons-nous dans la position de celui qui apprend : il est évident que celui qui nous enseigne nous croit son égal, sinon il ne perdrait pas son temps. Il n'y a que l'arrogant pour croire qu'une transmission peut passer entre un supérieur et un inférieur.