Les défectuosités du samsara
Parfois, on voit quelqu’un dans une situation dramatique (un brave type coincé avec une fille complètement nase, ou l’inverse), mais qui n’arrive pas à s’en défaire. Le plus étonnant, c’est quand cette personne est lucide sur sa situation. Normalement, quand on est lucide, on change.
Sauf si n’on est lucide que la moitié du temps, ce qui est le cas général. Par exemple, vous remarquerez que ce genre de personne tient deux discours. 1) « Cette fille est complètement folle, elle me fait chier exprès, et moi je reproduis le même schéma que mon père, en plus j’arrive pas à me faire des amis, je suis tout seul, j’ai une vie de merde, j’ai foiré ma pratique, rien ne va ». 2) « Je reste avec cette fille par compassion, regarde tous les progrès qu’elle a fait, elle a besoin de moi, de toutes façons dans la vie c’est bien d’aider les autres, ça nous fait progresser ». Dans un cas, on a le nullos qui est bien conscient de ce qui ne va pas chez lui, mais cette perception lui est insupportable. Alors l’autre partie du temps, il devient un être spirituellement évolué qui reste avec la fille par compassion. Un jour sur deux ils se séparent, l’autre jour sur deux il est le sauveur.
Chez nous, on peut retrouver le même discours au fil des jours. Soit « j’ai une vie de merde qui ne va nulle part », soit « aujourd’hui il fait beau, tout ne va pas si mal ».
Comment peut-on discriminer le faux discours du juste discours chez notre ami nullos/sauveur ? Lorsque nous pouvons le discriminer chez nous.
En réalité, nous avons vraiment une vie de merde, mais quand ça devient trop insupportable, un petit coup de cinéma, un petit coup de restau, un petit coup de distraction, une petite sieste, et tout ne va pas si mal. Cela fonctionne comme un mal de dents permanent. Tant qu’on a des cachets à portée de la main, ça ne va pas si mal. On a mal une partie du temps, mais dès que ça devient pénible, hop les cachets, et pendant un moment tout va bien. Petit à petit, cependant, on finit bien par se rendre compte que les cachets ne sont qu’une solution temporaire, qu’il va falloir s’attaquer à la vraie cause, aller chez le dentiste, parce que ça va tellement peu s’arranger avec le temps qu’un jour ou l’autre même les cachets ne feront plus d’effet.
Personnellement, je suis partisan de s’attaquer à la cause alors que les cachet font encore de l’effet, ce qui laisse une marge de manœuvre. Histoire de ne pas se retrouver à avoir tellement mal aux dents qu’on ne peut même plus aller chez le dentiste.
Au rang des distractions, le travail est la première. Quand on travaille, on ne voit pas le temps passer. Ne le voyant pas passer, on n’a pas l’impression de le perdre. Un peu comme quand on regarde un film. Donc on a vraiment « perdu » ce temps au sens où non seulement on n’en a rien fait d’utile, mais on plus on ne sait même pas qu’il est passé. Alors que si on nous enferme dans une pièce avec un coussin avec impossibilité d’en sortir pendant 3 mois et aucune distraction possible, c’est sûr qu’on va voir le temps passer et qu’on va se mettre à pratiquer. Mais il ne faudrait même pas avoir des crayons et du papier sous la main, sinon c’est foutu. Comme le dit Chepa : « Parfois, quand je vois les gens sortir de retraite, je vois que certains ont fait de jolies tangkas et de belles statues. Ça signifie que la retraite n’a pas servi à grand-chose ».
Si vous regardez les gens, ils vont de distraction en distraction. Travailler, manger, travailler, lire ou dormir dans le métro, manger, regarder la télé, dormir. Ils ne voient absolument pas le temps passer. Pas étonnant qu'ils ne pratiquent pas. Ils ne perdent pas leur temps, pour eux le temps n'existe pas.