Taxiwoman
A peine je suis entré dans le taxi, j’ai su qu’elle était folle. Pour commencer, on l’aurait dit atteinte de la maladie de Parkinson avec son volant, ensuite, un coup je freine, un coup j’accélère, elle ne doit pas avoir une vertèbre intacte, vu ce que moi j’ai morflé en 20mn. On peut évaluer l’état psychologique et nerveux d’un taximan à la façon dont il conduit. Là, c’était grave. Arrivée Bd Voltaire, elle tourne à droite.
- Naaaaan !
- Quoi ! Vous voulez aller par où ?
- Bastille, Henry IV, les quais…
- Pas question ! Les quais sont tout bouchonnés.
Et hop voilà partie pour un détour par République (où ça bouchonnait bien entendu).
Je fais la gueule pendant 100m, puis je laisse tomber. Du coup, 100m plus loin, elle se met à me parler :
- Il paraît qu’il y a 6 à 8000 chercheurs qui manifestent ? Mais d’où c’est qu’ils sortent ?
- Bah c’est tous les mecs qui ont des doctorats et qui veulent rien branler, ils rentrent dans un labo où ils sont payés au lance-pierre pour rien foutre.
- Ah bon ?
- J’ai un ami comme ça, il a mis 10 ans à faire sa thèse. Il voulait être chercheur. Ça permet de se lever à midi.
- Il l’a fait sur quoi sa thèse ?
- Euh… le rêve lucide.
- Et c’est quoi ça ?
- Ben, un rêve où on sait qu’on rêve.
- Ah bon ? ça m’est jamais arrivé. Pourtant, je m’intéresse beaucoup aux rêves. J’ai lu dans un livre oriental que les gens qui avaient beaucoup médité faisaient des rêves spéciaux.
- Ah oui. Ben tenez, y a un chirurgien, il rêve qu’il sort de son corps et qu’il va opérer les gens, et tenez-vous bien, ils guérissent.
- Ah oui ça j’y crois, j’y crois ! »
Elle se met à taper sur son volant, à s’agiter sur sa banquette et à se retourner dans tous les sens pour essayer de me parler en face, tout en conduisant bien sûr. Je me dis : « On va avoir un accident, on n’arrivera jamais à St Michel ».
Elle continue :
- Oui, les gens qui ont beaucoup médité, ils peuvent tout savoir.
- Ah ben oui, y a un gars, le beau-frère d’une nana que je connais, la nuit quand il dort, il parle des langues. Ils l’ont enregistré, apporté au Collège de France, c’était de l’Iroquois de 1820.
- Et il l’avait pas appris à l’école ?
- Ah ça non, plus personne ne le parle. Il parle aussi russe, espagnol, latin…
- Oui et on peut aussi le faire quand on est réveillé. Mais il faut avoir la tête vide. C’est pour ça que les hippies sont partis de villes. Pour se vider la tête.
- Ils se sont surtout vidé la tête en fumant.
- Ah ben oui. Mais tenez, moi par exemple, je fume 3 fois par semaine, et quand je fume, je peux jouer de la musique. De la guitare, du piano, alors que je ne sais pas du tout jouer. Je peux aussi dessiner des choses incroyables.
- C’est bien. Moi quand je fume ça me donne le mal de mer.
- Ah bon ? C’est pas normal.
- Quand je bois c’est pareil.
- Ah mon pauvre, mais c’est vraiment triste pour vous !
Heureusement, on était arrivés.
En plus je raconte ça à No Smoking, qui me sort : « Mais elle te draguait ! »