Se parler à soi-même à travers les autres
Aujourd’hui j’ai enfin compris ce qui se passait avec les gens. Je pensais que ça n’arrivait qu’à Yogi des Grottes mais en fait ça m’est arrivé très souvent. Il voit des gens qui ne pratiquent pas, ont raté leur vie, sont dans le noir total etc… et tout à coup ces gens comprennent tout, ne disent que des choses intelligentes, se sentent parfaitement bien, n’ont aucun souci… C’est simplement qu’il les remplit avec son propre noyau. Donc, l’espace de la conversation, ils deviennent lui, et il se parle à lui-même. Et comme il sait plein de choses, la conversation devient forcément très intéressante. Repensant à cela pour la nième fois, je me suis soudain souvenu de conversations que j’ai eues avec des amis. Le cas le plus net, c’est avec un garçon charmant, de type ouvert, que je voyais toujours en compagnie d’un autre garçon, de type fermé. Et à chaque fois, l’autre devenait fou parce qu’il voyait bien que son ami changeait. Il lui disait « Mais enfin, comment ça se fait que tu sois d’accord avec lui, puisque depuis le temps que nous parlons ensemble, tu me dis sans arrêt le contraire de ce que tu es en train de dire là tout de suite ! Ce n’est pas possible que tu sois d’accord avec lui ! » Et l’autre, totalement innocent : « Ben écoute, je ne comprends pas du tout pourquoi, mais en fait, je suis d’accord ». Et le type se mettait à développer des idées qui ne lui étaient pas du tout habituelles, à en croire son ami.
Plus globalement, des tas de gens m’ont parlé, à un moment ou à un autre, de choses qu’ils n’avaient pas du tout réalisées, à en juger par les propos tenus à d’autres personnes, mais que, le temps de notre conversation, ils avaient réalisées. Mieux encore : il y en a qui fonctionnent tellement bien de ce point de vue que quoi qu’on leur dise, ils le savent déjà. A ce moment-là. Avant ils ne le savaient pas, après ils l’oublient, mais au moment de la discussion, ils le savent avant que la chose soit dite. Et inversement, il y a ceux qui sont totalement réfractaires, et qui ne comprennent rien.
En fait, pour qu’une conversation soit intéressante, il faut qu’au milieu du lot il y ait au moins une personne avec un noyau. Avec ça, elle remplit les autres, et d’un coup, tout le monde devient intelligent, sauf les fermés, bien sûr, mais ils sont une minorité.
On remarque la même chose quand on enseigne. A un moment je donnais des cours de maths. Il y avait des élèves qui comprenaient tout tout de suite, c’était incroyable. Le problème, c’est qu’ils ne gravaient rien sur disque dur, la semaine suivante il ne restait rien. Et c’était ceux qui comprenaient le plus vite qui gravaient le moins. Par contre, ceux qui avaient du mal à comprendre, ça restait. Maintenant, je sais pourquoi : ceux qui ont du mal à comprendre, c’est parce qu’ils comprennent par eux-mêmes, alors que les autres comprennent par le professeur. La perle rare, c’est celui qui comprend vite et qui grave, mais ça, c’est un être exceptionnel… dont je ne fais pas partie. Yogi des Grottes, j’ai mis des années à comprendre ce qu’il racontait, alors que la plupart des gens comprennent immédiatement. Le problème, c’est que quand il demande à une personne de lui réexpliquer un truc qu’il a expliqué 10 fois, elle ne sait plus. Il a mis 20 ans à s’en aviser. Donc, avis aux professeurs de toute sorte… En fait, c’est un petit peu plus complexe : les ouverts sont ouverts quand ça ne touche pas un refus important chez eux. J’ai un ami, par exemple, qui comprend immédiatement tout ce que je dis, à l’exception de certaines choses bien précises qu’il ne souhaite pas du tout entendre, et là, d’un coup, on sent qu’il y a un bloc de béton. Il suffit donc de repérer ces zones là, de les éviter, et la conversation est passionnante. Par contre, il ne faut pas se demander ce que la personne en tire...